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Entretien avec Guy Latry, universitaire, professeur d'Occitan à Bordeaux 3

Professeur d'occitan à Bordeaux 3, il donnera une Conférence intitulée "Aragon à Ribérac: poésie et résistance, ou le retour de l'occitan" le Mercredi 18 Décembre à 18h, amphi Lefevre à Bordeaux 3, lors de la semaine culturelle Aragon.

 

Comment est née cette recherche sur La Leçon de Ribérac, texte de Louis Aragon paru en juin 41 ?

En fait, ce texte m’est passé sous les yeux il y a bien longtemps, dans mes années d’école à Bègles : une voisine, Mlle Amiot, passionnée de poésie, m’avait prêté Les yeux d’Elsa, recueil auquel Aragon avait joint en annexe cette Leçon de Ribérac. De ce texte, je n’avais perçu alors que la dimension politique immédiate - mais c’est le cas encore aujourd’hui pour beaucoup de lecteurs. L’occasion d’y revenir a été le colloque que nous avons organisé en juin 2012 à Ribérac (Dordogne) sur le troubadour Arnaut Daniel, natif du lieu. Or, c’est à Ribérac qu’avaient échoué le brancardier-chef Aragon et sa compagnie à la fin de juin 1940. Et c’est là, un an plus tard, dans un article publié par la revue Fontaine à Alger, qu’il situe la naissance de sa réflexion sur la possibilité d’écrire une poésie de résistance, réflexion qui part précisément d’Arnaut Daniel et de son style apparemment hermétique (le trobar clus, la poésie « close »): apparemment seulement, puisqu’il est fait pour que seuls comprennent ces textes ceux à qui ils sont spécialement adressés : pour le troubadour, sa Dame, sous les yeux mêmes de son seigneur de mari, qui n’y voit goutte ; pour Aragon, les Français occupés, sous les yeux même de l’occupant et des collabos (pas si aveugles que ça, ceux-là, à commencer par son ancien ami Drieu la Rochelle, qui dénonce Aragon et sa Leçon dans le journal de Doriot).

 

« Aragon à Ribérac : poésie et résistance, ou le retour de l’occitan », le titre est long pour une conférence, comment l’expliquer ?

 

C’est qu’à cette occasion Aragon est amené à réévaluer l’apport de la poésie lyrique occitane dans l’histoire de la culture, et par sa forme et par sa conception de l’amour en rupture totale avec l’idéologie dominante de l’époque et avec le discours de l’Eglise sur la femme. Il le fait en s’appuyant de manière délibérément provocante sur les travaux de Gustave Cohen, alors interdit d’enseignement, comme on s’en doute, pour « non-aryanité ».

La Leçon de Ribérac est de ce fait une date dans l’histoire de la perception de la diversité linguistique et culturelle française - par ailleurs implicitement niée par toute la longue tradition de l’« Histoire- de-France ».

Voilà pourquoi, sans doute, cet aspect de La Leçon de Ribérac est rarement souligné , et cela, même par les occitanistes, qui lui reprochent de ne valoriser la source occitane que dans la mesure où elle se fond avec la tradition celtique pour constituer la littérature qu’on peut désormais dire « française ». Cette synthèse, opérée par le grand poète d’oïl Chrétien de Troyes, en fait un modèle pour les autres littératures européennes (notamment italienne et allemande) – d’où le sous-titre, provocant lui aussi, de La Leçon de Ribérac : « ou l’Europe française ». En passant sous silence les conditions historiques de la fusion du Nord et du Midi (la Croisade des Albigeois et ses suites), Aragon se refuse à opposer deux France, ce qui doit se comprendre, évidemment, dans le context de l’Occupation, avec une ligne de demarcation qui coincide à peu près avec les limites du domaine linguistique occitan…

 

Qu’est-ce qui fait encore ou plus encore l’intérêt de La Leçon de Ribérac en 2012 ?

Plus que jamais se pose, me semble-t-il, la question de la diversité dans la nation française.  Si l’on a autant de mal à l’aborder à propos des populations immigrées, c’est peut-être parce qu’on n’a jamais vraiment voulu la poser à propos des minorités de l’intérieur, Basques, Corses, Bretons, etc … sinon en termes d’ unité et d’ « identité » - et donc à considérer toute différence interne, notamment linguistique, comme une menace pour l’unité nationale . Et comme être français, c’est parler français, point à la ligne, on traitera avec un racisme innocent et jovial ceux qui « ont de l’accent » et, a fortiori , par le mépris ceux qui écrivent dans ces « patois » - y compris d’ailleurs les troubadours, sous-étudiés dans l’Université française où l’on ne considère comme vraiment « français » que les textes en langue d’oïl (ce n’est heureusement pas le cas dans les universités étrangères). Et là, Aragon n’aurait pas été d’accord ! Le refus de cette occultation, la volonté de considérer la langue et la culture occitanes comme une part importante du patrimoine national, voilà, je crois, la « leçon » toujours d’actualité de La Leçon de Ribérac.  Aragon l’a dit à nouveau, plus nettement encore, en 1962, dans son avant-propos à l’Anthologie de la poésie occitane (du XXème siècle, en fait, et comprenant beaucoup d’auteurs vivants) parue aux Editeurs Français Réunis, la maison d’édition du PCF , où il écrit entre autres : « Je dois à l’ancienne poésie d’oc peut-être l’honneur de ma vie ».

 

Que faudrait-il retenir, selon toi, de l’oeuvre d’Aragon?  A quelle lecture inviterais-tu une jeune lectrice ou un jeune lecteur?

Ayant peu lu le dernier Aragon, je vais répondre comme tout le monde : Le Paysan de Paris, Le Roman Inachevé, Le Fou d’Elsa pour la poésie, mais peut-être pas, récemment découvert dans le tome I de la Pléiade (Poésies) : La Grande Gaieté !

Pour le roman, Aurélien et La Semaine Sainte.

 

Entretien réalisé par Vincent Taconet

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