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La démocratie, l'humain, le partage... Quels contenus ? par Gérard Loustalet-Sens (Section Deux Rives)

Le texte en discussion pour le 36ème Congrès du PCF est plein d'idées généreuses et de justes
aperçus mais aussi de trop d'idées générales et de notions au contenu approximatif : la démocratie,
l'humain, le partage, la croissance, la domination, la République...

 

La démocratie. Est-ce que notre société souffrirait seulement d'une insuffisance de démocratie
ainsi que semble le suggérer le texte ? C'est bien pire, hélas ! Nous restons en effet sous l'emprise
d'un système pervers mis en place dès 1789, la démocratie libérale. L'objectif en a toujours été
-avec plus ou moins d'efficacité selon l'intensité de la lutte des classes- de limiter, contenir,
édulcorer voire détourner la souveraineté d'un peuple toujours stigmatisé comme ignorant et
incapable. On en connait les moyens : lier la capacité politique à la propriété, la richesse,
l'éducation ; constitution d'un champ politique ou des professionnels de la politique se confrontent à
des enjeux sans lien avec les véritables intérêts populaires ; inégalités d'accès des classes populaires
à la pratique de la citoyenneté ; artifices électoraux comme aujourd'hui le scrutin majoritaire opposé
à un scrutin proportionnel diabolisé ; artifices politiques comme aujourd'hui le bipartisme
permettant quel que soit le résultat du vote une continuité du pouvoir des « élites » économiques ;
personnalisation extrême du débat politique qui voudrait faire d'un seul personnage l'unique
interprète de l'intérêt général ; jusqu'à -ces dispositions ne suffisant apparemment plus- donner
officiellement la réalité du pouvoir à des « experts » non élus, ce que le texte appelle à juste titre la
gouvernance, renvoyant définitivement au folklore toute forme d'élection et constituant la forme
ultime et l'accomplissement de la démocratie libérale

          Il n'y a rien à retenir de ce système. Il nous faut inventer autre chose et, en particulier, en
invalider les principes de fonctionnement que sont la représentation et la délégation de pouvoir.
Bernard Vasseur parle d'une « démocratie anesthésiée », mais a-t-il jamais existé une forme pure et
parfaite de la démocratie? Le fondement politique de la société a été établi par Jean-Jacques
Rousseau -même si Marx l'a méconnu-, c'est le concept de volonté générale. La volonté générale
est, par principe, la volonté de tous les membres de la société et se doit d'être unanime. La volonté
constante de tous les membres de l'Etat doit être la volonté générale et leur liberté consiste à s'y
conformer. Quand une loi est en délibération, il s'agit pour l'assemblée du peuple d'examiner si elle
est conforme ou non à la volonté générale. Cette haute idée du fonctionnement politique nécessite
bien entendu les conditions d'une société sans classes dont les citoyens seraient socialement et
culturellement parfaitement égaux. Mais puisqu'il faut « rallumer les étoiles », il faut sans doute
rappeler ici qu'une société sans classes est l'utopie fondatrice de l'espérance communiste.

       Faute de réunir ces conditions, on s'est rabattu sur le concept de souveraineté populaire. Celui-ci
est fondé sur le principe majoritaire et des auteurs comme Tocqueville ont dénoncé ce qu'ils
appellent la « tyrannie de la majorité ». L'expression de la souveraineté populaire intervient dans
une société de classes, elle nécessité l'institution d'un pluralisme qui, contrairement à la volonté
générale, s'établit sur ce qui est postulé comme l'évidence naturelle existant de toute éternité d'une
pluralité conflictuelle d'intérêts individuels... Ce qui est la conception libérale de la société. A
l'inverse de la souveraineté populaire, la volonté générale étant la volonté de tous ne saurait être
déléguée et si représentants il doit y avoir ce sera sous la forme d'une désignation consensuelle
provisoire et révocable à tout moment, voire d'un tirage au sort comme cela a existé... Cette
« étoile » est peut-être lointaine, il faut la rendre accessible !

 

L'humain. Que recouvre donc cette catégorie soudainement surgie comme slogan du programme
du Front de Gauche ? Sans doute faut-il écarter ici des synonymes, le compatissant ou le secourable,
qui sont en fait l'expression d'une charité chrétienne bourgeoise laquelle n'a jamais été que la bonne
conscience des possédants. S'agit-il alors de tout ce qui concernerait la « condition humaine » ?
Mais l'idéologie capitaliste a son idée : l'humain, c'est la concurrence exacerbée entre individus
isolés pour l'accaparement de l'avoir, ce qui caractériserait l'humain ce serait l'intérêt, l'égoïsme, la
cupidité, la violence... La notion d'humain, constamment utilisée dans le texte comme allant de soi ,
pose en réalité de nombreux problémes. De quelle conception de « l'Homme » s'agit-il ? On
s'étonnera ici de ne pas trouver dans le texte proposé la moindre allusion à une anthropologie
marxiste qui a pourtant beaucoup à dire sur la question. Le marxisme récuse toute notion d'Homme
abstrait, toute espèce de forme de nature humaine comme autant de mystifications. L'abus du terme
« humain » dans notre base de discussion ne permet pas de dissiper toute équivoque à ce sujet. On
sait que Marx lui-même a dû opérer un « dépassement » (Lucien Sève) ou une « rupture »
(Althusser) avec l'humanisme spéculatif de ses écrits de jeunesse afin de formuler ce qu'on peut
appeler sa conception de « l'humain », magnifiquement résumée dans la célèbre VIème Thèse sur
Feuerbach : « l'essence humaine n'est pas une abstraction inhérente à l'individu isolé. Dans sa
réalité, elle est l'ensemble des rapports sociaux ». Rapports sociaux au sens de place dans les
rapports de production et non pas banalement au sens de relations sociales ou intersubjectives. Cela
a un certain nombre de conséquences qu'il serait trop long d'énumérer. Pour le marxisme, il y a une
priorité de la production matérielle et le mode de production de la vie matérielle conditionne le
processus de vie social, politique et intellectuel. Bien entendu, les hommes concrets conçoivent les
modes de production et sont ainsi les produits de l'histoire qu'ils produisent. Enfin, dernière citation,
« la société ne se compose pas d'individus, elle exprime la somme des rapports et des conditions
dans lesquels se trouvent les individus vis à vis des autres ». Il serait donc nécessaire de bien
préciser dans notre texte de Congrès le contenu scientifique (historico-social) de « l'humain » dont
nous parlons afin de lever toute ambiguïté menaçant de verser dans la niaiserie compassionnelle.

 

La croissance. Ce terme apparaît dans la phrase : « donner un tout autre contenu à la croissance ».
Il n'est donc pas récusé mais on lui substitue plutôt le cliché « développement durable » dont on
devrait savoir qu'il ne recouvre qu'une imposture, même affublé de l'inévitable qualificatif
« humain ». C'est surtout une impasse qui reste inaperçue dans le texte faute d'une réflexion sérieuse
sur la « croissance » en système capitaliste. Le mot « croissance » est utilisé par les capitalistes
comme euphémisme pour désigner la suraccumulation des profits. C'est une fuite en avant
permanente et indéfinie conduisant à une effroyable gabegie -d'ailleurs évoquée dans le texte- dont
on sait aujourd'hui qu'elle met en danger l'avenir écologique de la planète. C'est une machine
infernale qui s'auto-alimente à coup de profits, de dettes, de crédits où la seule perspective est la
rentabilité à court terme. Faut-il encore rappeler avec Marx que « la fin du capital (est) la
production de profit et non la satisfaction des besoins ». Pourvu que ça rapporte aux actionnaires, on
accumulera tout et n'importe quoi au mépris de l'utilité d'usage et de la raréfaction des ressources.

          Cette « croissance » est mortifère et inhumaine et, comme le dit Yvon Quiniou, « le capitalisme
d'aujourd'hui avec son hubris productiviste et marchande occulte les autres dimensions de
l'existence humaine ». Il est trop tard pour donner « un autre contenu » à la croissance : c'est celle-ci
qu'il faut mettre en cause et son faux-nez, le développement durable, qui n'est qu'une pâle diversion
pour sauver les meubles capitalistes, au même titre que le « capitalisme vert » cité dans le texte et
autres billevesées. Marx montre dans L'Idéologie allemande que « dans le développement des
forces productives il arrive un stade où naissent des forces productives et des moyens de circulation
qui ne peuvent être que néfastes (…) et ne sont plus des forces productives mais des forces
destructrices ». Nou y sommes. La notion de décroissance ne doit plus être taboue pour les
communistes et c'est à elle qu'il faut donner un contenu !

 

Le partage. Pierre Laurent parle indifféremment de partage et de mise en commun. Est-ce que c'est
la même chose? Le texte en discussion privilégie la notion de « partage ». Est-ce vraiment la finalité
d'une société communiste où chacun aurait sa « part » à faire prospérer dans son coin? Est-ce
vraiment rompre avec une société où l'avoir l'emporte sur l'être ? Le communisme, comme son nom
l'indique, c'est la mise en commun. Les communistes restent frileux sur cette question même si le
texte parle de « reconquérir la gestion de (et non pas des, notons-le) biens communs » et d'un
« grand mouvement d'appropriation sociale ».

           Il faut aller plus loin et être plus précis. La question de la sortie du marché devrait être posée et
la forme des échanges repensée. L'apport social de chacun sous forme de travail peut être dissocié
de ses moyens et modes de consommation ce qui devrait conduire à préconiser dès maintenant
diverses formes d'un principe de gratuité des grands services de consommation collective et pas
seulement ceux qui sont « essentiels » comme dit le texte : énergie, transports, logement, eau, santé,
culture, éducation, etc. avec la perspective de l'abolition du salariat. Immédiatement, on peut créer
des espaces de gratuité et élargir ceux qui existent déjà de manière à faire reculer l'empire de la
marchandise dans les mentalités. Les services publics, la sécurité sociale, la retraite par répartition
constituent la preuve que l'on peut échapper à la sphère marchande et c'est bien pour cela qu'ils sont
la cible favorité des libéraux.

           Les propositions communistes doivent être authentiquement communistes et assumer leur part
d'utopies rationnelles. S'il est question de « rallumer des étoiles », ce sont bien celles-là !

 

La domination. Le texte de base commune mentionne plusieurs fois la notion de domination mais
de manière trop générale hormis le « patriarcat » qui bénéficie de tout un texte. La dimension
symbolique, la plus perverse, de la domination est quasiment ignorée. La sociologie de la
domination, celle de Pierre Bourdieu en particulier, nous donne tous les outils pour la comprendre et
la combattre. Pour ne considérer qu'un aspect, il faut rappeler que nous ne sommes pas des
individus abstraits, mais des agents sociaux qui se construisent dans des conditions déterminées et
dès le départ inégales dans une société de classes. La singularité de chacun se constitue par des
choix contraints dans un champ de possibles d'autant plus restreint que les dominations sont plus
fortes et qu'ainsi le comble de la domination est de ne nous faire désirer que ce que nous pouvons
socialement désirer.. « Lutter contre toutes les dominations » comme le proclame la base commune
est bien, encore faut-il en comprendre les mécanismes, en particulier que la socialisation dans une
société de classes tend à susciter l'adhésion des dominés à leur propre domination, ce qui devrait
avoir des conséquences sur les modalités de l'action d'un parti révolutionnaire.

 

La République. Je suis très réservé sur la célébration quasi inconditionnelle par Pierre Laurent
d'une République qui serait aujourd'hui « abîmée, défigurée, salie ». Mais où est donc la République
idéale qui aurait été ainsi dévoyée ? Qu'est-ce donc que cette République qui transcenderait par on
ne sait quel miracle les antagonismes de classes ? En réalité, la République n'a jamais été égalitaire
et a distingué dès ses débuts entre citoyens actifs et citoyens passifs ! La République a toujours été
un instrument de la bourgeoisie pour réprimer la Révolution sociale et la classe ouvrière, comme en
juin 1848 ! Faut-il rappeler que les valeurs républicaines ont servi de caution aux horreurs de la
colonisation ? Comment alors « refonder » une République mythique qui n'a jamais existé?
Comment ne pas voir que le triptyque liberté-égalité-fraternité ne peut être qu'une imposture dans
une société de classes. Si l'on veut absolument parler de République, il faudra alors l'inventer à
partir d'une Révolution sociale préalable jetant les bases de la volonté générale qui seule peut
donner sens à la devise liberté-égalité-fraternité. Les révolutionnaires, il faut le souligner, se sont
moins battus pour la République que pour la République sociale car ainsi que l'affirmait Jaurès : « la
République sera sociale où ne sera pas ». On disait même simplement : la Sociale ! La lutte
révolutionnaire n'a rien à gagner à s'encombrer d'une « tradition républicaine » dans la réalité pour
le moins douteuse.

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