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24ème Festival international du film d'Histoire de Pessac : films en compétition.

par Françoise Sourbé

 

Quatre biopics : Mandela, Walesa, Paradjanov, Mishima.

Le film ''coup de cœur'' , Mandela, le long chemin vers la Liberté est un film magnifique tant du point de vue de la technique ( cadrages, plans, lumières, musique.... ) que du contenu. Cette fresque historique de 2heures 32 est à la mesure du destin exceptionnel d'un homme devenu une icône mondiale en luttant contre l'apartheid, qui sut s'insurger contre l'ordre établi en faisant triompher ses convictions . Cette production ( Grande Bretagne ET Afrique du Sud ) est la seule à avoir obtenu l'accord et le soutien de Nelson Mandela pour raconter ses mémoires. De son enfance dans un village de l'ethnie Xhosa, on le suit à Johannesburg où il est devenu avocat défendant la cause des noirs avant de se rapprocher de l'ANC qu'il rejoint en 1944. Puis viennent le temps des manifestations et des actions, d'abord pacifistes puis violentes, en réponse aux massacres des tenants de l'ordre établi, l'arrestation et son emprisonnement à Robben Island, sa libération et son élection en 1994 qui a ouvert la voie de la réconciliation. Toujours transparaît -y compris dans les moments les plus difficiles- sa grande humanité, sa simplicité mais également la force de l'analyse et des convictions politiques . Des moments plus intimes sont aussi relatés : ses deux épouses, ses enfants. La solidarité internationale n'a pas été oubliée : celles et ceux qui auront l'opportunité de voir cette œuvre magnifique se rappelleront le temps du boycott des oranges en provenance de l'Afrique du Sud de l'apartheid ou de la participation des communistes brandissant la ''une '' de l'Humanité lors des manifestations en faveur de la libération de Nelson Mandela : des photos d'archives intégrées dans le scénario montrent cela très précisément. La sortie est prévue le 18 décembre. A voir absolument. Merci à François Aymé et à toute son équipe de l'avoir programmé.

 

Parmi les autres biopics, celui consacré à Lech Walesa est lui, par contre beaucoup plus terne ( et dure deux longues heures) . Le grand cinéaste Wajda signe là : Walesa. L'Homme du peuple, troisième volet d'une trilogie après l'Homme de marbre ( 1977) et L'Homme de fer (1981). En choisissant de construire son film autour d'une interview , Wajda joue facilement avec le temps, entre passé et présent, entre les grands évènements du XX ème siècle et la vie privée de Walesa dont il met en scène aussi bien sa vie publique que sa vie privée .

Il est un peu dommage que le point de vue partial de Wajda ( en 1981, il est nommé au comité des citoyens auprès du syndicat Solidarnosc) soit si pesant pour un film si réussi techniquement .

 

Le prix du jury ( non corroboré, à juste titre, par le faible taux de l'applaudimètre au moment de la remise des prix) a été décerné à un autre biopic consacré au cinéaste Paradjanov , le réalisateur, du magnifique film Les chevaux de feu(1965) . Paradjanov n'est ni une biographie exacte ni une reconstitution historique, c'est donc une fiction , une construction mentale sur l'univers de Sergueï Paradjanov, cinéaste hors norme, excentrique, non conformiste, totalement baroque et un assemblage -parfois un peu désordonné- entre des extraits de ses propres films en cours de réalisation . Cette interprétation de ce personnage fait de ce film une réalisation étonnante à l'image de ce personnage que fut Paradjanov.

 

Dernier biopic, avec le film japonais, 25 Novembre 1970, le jour où Mishima a choisi son destin. Yukio Mishima, un des écrivains japonais les plus respectés, figure de l'extrême droite japonaise souhaitait renverser le régime et restaurer le pouvoir de l'empereur. Il s'est donné la mort, en commettant le seppuku (décrit avec moult détails au final!) , le suicide rituel du samouraï , dans le quartier général du commandement de l'armée japonaise à Tokio.

 

Trois films ayant pour sujet, directement ou indirectement, la guerre.

Le long chemin vers la maison est un très beau film , premier long métrage de fiction d' Alphan Elesi (Turquie) . Il relate un épisode lié à la bataille de Sarikamis entre les soldats de l'Empire russe et ceux de l'Empire ottoman au cours de la première guerre mondiale. Le bref conflit ( du 22/12/1914 au 17/01/1915) a eu pour résultat la victoire des Russes, la déroute des Ottomans et près de 90 000 soldats turcs morts à la bataille ou pour les rares survivants, de froid, sur le chemin du retour. Un groupe composé de trois personnages auxquels viendront s'adjoindre quatre autres, a réussi à fuir la zone de combat et à trouver un chemin qui permettrait à chacun de rentrer à la maison. Après avoir traversé les montagnes enneigées ( magnifique) de l'Anatolie orientale, frontière fatale pour de nombreux exilés, ils arrivent dans un village abandonné en plein hiver et

bientôt la nourriture vient à manquer. Plus que la transhumance de ce groupe, ce film remarquable dresse le portrait d'un groupe où le conflit entre les classes sociales s'insinue dans chacune de ses actions et montre combien la guerre met la moralité et la dignité humaine à rude épreuve.

 

Autre très beau film avec une performance remarquable des trois rôles principaux : Adapté de la trilogie des jumeaux de l'écrivaine hongroise Agota Kristof, Le grand cahier témoigne des horreurs de la guerre et montre combien il est facile de perdre son innocence d'enfant. Vers la fin de la seconde guerre mondiale, des jumeaux sont envoyés chez leur grand mère , au fin fond de la campagne, dans un pays dévasté . Alors que cette décision a été prise pour les protéger de la terreur qui pourrait s'installer dans la grande ville, la situation s'avère pire dans le petit village où leur grand mère habite et où elle est surnommée «la sorcière». Tandis que la mort, la violence et la destruction s'abattent autour d'eux , elle les fait travailler en échange du gîte et du couvert. Confrontés au froid, à la faim et à l'indifférence, ils apprennent à surmonter les épreuves et les cruautés de la guerre et des adultes. En notant chaque jour dans le grand cahier que leur père leur a donné l'horreur de leur quotidien , ils finissent par s'endurcir et devenir insensibles aux réalités du monde adulte . Et ce n'est pas que leur innocence qu'ils perdent mais également leur conscience morale.

 

D'une vie à l'autre est l'un des deux films à avoir obtenu, le prix du public ( justifié : techniquement parfait et un scénario parfaitement construit qui tient en haleine jusqu'au bout; une performance de Liv Ullmann, la légendaire égérie d'I. Bergman, dans le rôle de la mère norvégienne ) . Dans ce drame troublant , inspiré de faits réels, Georg Maas révèle un triste épisode de l'histoire germano-norvégienne : pendant la Seconde guerre mondiale, l'enlèvement par les nazis des enfants nés de soldats allemands et de femmes norvégiennes . Ces enfants, enlevés de force et placés dans des institutions spécialisées , les ''Lebensborn'', dans ce qui allait devenir l'Allemagne de l'Est . Élevés dans ces institutions ou dans des familles adoptives allemandes, ils n'ont jamais eu connaissance de leurs véritables identités. Europe 1990 , le mur de Berlin est tombé. En Norvège Katrine mène une vie tranquille entre sa mère, sa fille et son mari qui travaille au ministère de la défense. Lorsqu'un jeune avocat vient rendre visite à la famille et notamment à Katrine pour son passé d'enfant de ''Lebensborn'', elle est subitement confrontée à son passé : pour s'échapper de R.D.A. où elle est née, elle a collaboré avec la Stasi et pour cacher la vérité à ses proches, elle se voit contrainte d'affronter ses anciens collègues. Film qui n'a pas manqué de me questionner quant à ses objectifs.

 

Quatre films traitant des problèmes de société

Autre film à avoir obtenu le prix du jury : La Marche de Nabil Ben Yadir . Autre film à ne pas manquer tant pour son contenu que pour la prestation de Jamel! A mi chemin entre documentaire et fiction ( en réalité, au départ : 32 marcheurs, dans le film : 10) , La Marche raconte une page un peu oubliée de l'histoire de France, un événement de 1983 dans une France en proie à l'intolérance et aux actes de violence raciale : trois jeunes adolescents et le curé des Minguettes lancent une grande Marche pacifique de plus de 1000 kilomètres entre Marseille et Paris, pour l'égalité et contre le racisme. Malgré les difficultés et les résistances rencontrées, leur mouvement va faire naître un véritable élan d'espoir. Ils uniront à leur arrivée plus de 100 000 personnes venues de tous horizons. Ce rapport de force leur permettra d'être reçus à l'Élysée et, après la Marche, le crime raciste a été reconnu et la carte de séjour est passée à dix ans mais comme l'indique le générique de fin, certaines de leurs revendications sont toujours lettre morte comme le droit de vote des immigrés.

 

Autre révélation de ce festival : un western ….kurde! Et comme dans tout western, une histoire d'amour . Sur un fond de décors naturels que sont les paysages époustouflants du Kurdistan. Telle est la trame de My Sweet Pepper Land . Au carrefour de l'Iran, l'Irak et la Turquie, dans un village perdu, lieu de tous les trafics (médicaments, alcool, nourriture...)Baran, ancien combattant de l'indépendance kurde et officier de police fraichement débarqué, va tenter de faire respecter la loi . Il doit désormais lutter contre Aziz Aga , caïd local . Il fait la rencontre de l'institutrice du village, belle et insoumise qui, comme lui, a fait de choix de quitter sa famille pour échapper à un mariage arrangé. A travers ce beau portrait de femme, c'est le statut de la femme qui est posé dans une société patriarcale, empreinte d'archaïsme et de religiosité . Une société où des femmes font le choix du maquis, synonyme pour elles de liberté. Une société dans laquelle l'élément émancipateur est la Femme.

 

Autre phénomène de société traité : l'information dans Le Cinquième Pouvoir . En octobre 2006, Julian Assange et le hacker Daniel Domscheit-Berg créent WikiLeaks, une plateforme anonyme d'informations confidentielles sur les puissants. Mais les abus d'Assange, initiateur du projet finissent par user son partenaire. Les questions posées dans ce film sont pertinentes mais, à force de laisser croire qu'elles sont plus importantes que les réponses, Le Cinquième Pouvoir laisse un goût d'insatisfaction, amplifié par une conclusion ambigüe.

 

Pour terminer, un film ''monument'', prix du jury des lycéens et seul parmi l'ensemble des films de fiction en compétition à appartenir au thème de ce 24ème festival à savoir L'Inde et la Chine , Les Géants de l'Asie : A touch of sin ( traduction: une touche de péché) du grand cinéaste chinois Jia Zhang-Ke . A travers le parcours parallèle de quatre personnages , parcours qui à un moment ne manqueront pas de se croiser, deux à deux , ce film donne une vision de la Chine de ce début de 21ème siècle : une Chine où règnent violence, pollution, société de consommation et exploitation du monde ouvrier, où la corruption des nouveaux riches est bien présente , une société où les rapports sociaux avancent à individualisme renforcé , une Chine dans laquelle l'opposition villes- campagnes est de plus en plus profonde et douloureuse . A travers les quatre parcours que sont ceux de Dahai, mineur exaspéré par la corruption des dirigeants de son village qui décide de passer à l'action par la violence, de San'er, un travailleur migrant découvrant les infinies possibilités offertes par son arme à feu, de Xiao Yu, hôtesse d'accueil dans un sauna, poussée à bout par le harcèlement d'un riche client, de Xiao Hui qui passe d'un travail à un autre dans des conditions de plus en plus dégradantes. Quatre personnages, quatre provinces, un seul et même reflet d'une certaine Chine contemporaine: celui d'une société au développement économique brutal , peu à peu gangrénée par la violence. Film impressionnant sur un sujet laissant place à la découverte et au débat.

 

Parmi les documentaires en compétition, trois ont particulièrement marqué ce festival :

Le procès du viol (prix du public) de Cédric Condon : Le 2 mai 1978 s'ouvre à Aix un procès qui va marquer un tournant dans le sort réservé jusque là aux affaires de viol en France ( le 23/12 1980, une nouvelle loi sur le viol est promulguée, remplaçant l'antique texte de 1832). Un procès rendu possible grâce à la ténacité de deux femmes refusant d'abdiquer devant la pression d'une société et d'une justice qui préfèrent détourner les yeux. Et le combat d'une avocate-Gisèle Halimi- et des mouvements féministes qui entendent désormais briser un tabou et changer le regard de la société sur le viol . Ce documentaire est constitué de quelques passages de fiction mais surtout d' d'images d'archives, d'interview de l'avocate ayant assisté Gisèle Halimi et surtout du courageux -et douloureux- entretien assuré par ces deux femmes. Le procès d'Aix marque un tournant dans le combat , toujours en cours, contre le viol et le silence qui l'entoure . Ce film a le mérite de le rappeler.

 

Le chant des tortues (prix des lycéens) de Jawad Rhalib : Maroc, février 2011: la jeunesse marocaine et une partie de la population descendent dans la rue, pacifiquement, pour réclamer plus de liberté, de démocratie, dénonçant la déliquescence des services publics et la corruption généralisée dans un royaume à l'histoire marquée par la violence de l'État. Pourtant trois ans après, ces aspirations ont été largement déçues, et le mouvement doit inventer de nouvelles formes

d'actions pour maintenir l'espoir de changer enfin le pays ….

 

Détroit, mes fantômes (prix du jury et prix de l'IJBA) de Steve Faigenbaum : Détroit, Michigan, ville symbole de la puissance de l'industrie américaine, au développement économique rapide, mais aujourd'hui cité dévastée par la crise, la criminalité et saignée de ses habitants. La ville d'une famille, celle du narrateur, venue d'Europe au début du siècle dernier, Juifs polonais aspirant, eux aussi, à une part du rêve américain. Entre recherche des causes d'une chute spectaculaire et retour sur une mémoire familiale, une histoire subjective d'une ville, symbole du capitalisme, au destin fascinant et dramatique.

 

Le président de ce jury documentaire était Lam Lê, le réalisateur de Cong Binh, la longue nuit indochinoise ( prix du jury officiel du 23ème festival) , présent, avec son film, lors – et notamment- de la dernière fête de l'Humanité 33.

Au moment de la remise de ce prix, devant un parterre d'environ 350 personnes, Lam Lê a rappelé, avec un certain ''humour'', que «Détroit était la ville dans laquelle se fabriquaient les armes qui étaient utilisées lors de la guerre du Viet Nam» !!!

 

Françoise Sourbé

 

 

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le 17 décembre 2013

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